Entretien avec Odon Lafontaine (2)

Odon Lafontaine

Franck Abed : D’une manière générale, et avec le recul, comment expliquez-vous le succès du prédicateur musulman Ahmed Deedat, à une époque où internet n’existait pas encore ? De même, depuis sa mort son succès ne se dément pas, notamment grâce à internet. En effet, il est souvent cité comme la référence par les jeunes musulmans et les convertis. Qu’en pensez-vous ?

Odon Lafontaine : Sans être un spécialiste de Deedat, j’ai vu quelques vidéos. On en fait vite le tour, et quand on connait un peu l’islam, on comprend mieux son succès. Tâchons de l’expliquer, ce qui nécessitera quelques développements et explications de fond sur l’action psychologique de l’islam. 

Remarquons tout d’abord que le succès d’Ahmed Deedat n’est pas un phénomène isolé. Il a été précédé par des apologètes du même tonneau, comme Rahmatullah al Hindi, et de nombreux impétrants prétendent aujourd’hui à leur succession, récoltant comme eux un grand succès. Deedat avait peut-être des qualités particulières, mais son succès et celui de ses héritiers s’explique moins par leur talent que parce qu’ils ont su, lui comme eux, toucher une corde sensible au sein de leur public musulman.

Des quelques prestations de Deedat et consorts que j’ai pu analyser, j’en retiens qu’ils utilisent tous les mêmes ficelles grossières pour convaincre. Il s’agit de débats soigneusement mis en scène ou de « one man shows », à la manière des comiques ou des politiques prenant leur auditoire à témoin. Ces formats ne poussent pas à de réelles études de fond, scientifiques et rigoureuses, des sujets abordés. Il s’agit de se livrer à des démonstrations de « science », d’habilité, de rouerie et d’à-propos pour émerger comme le champion de la cause musulmane. On s’y contente généralement d’effets de manche et d’esbroufe, et sur le fond, il ne s’agit pas d’apologétique ou de disputatio intellectuelle mais d’entertainment, de divertissement. Les très rares livres publiés n’engagent jamais leurs auteurs dans de réelles controverses scientifiques, universitaires, de la même manière qu’on ne voit jamais les diseurs de bonne aventure faire fortune au loto… On préfère user en fait d’argumentaires souvent très simplistes, comme par exemple prétendre que l’on aurait « fait trembler le Vatican » en lançant un défi au Pape que celui-ci n’aurait pas « osé » relever. Evidemment, dans l’interprétation qu’en a donnée Deedat et que son public a voulu retenir, cela ne pouvait être que par peur de « perdre le débat », auquel Deedat « enjoignait » le Pape de participer contre lui (les guillemets renvoient aux éléments de langage que l’on trouve sur divers sites musulmans glorifiant la « victoire » par contumace de leur champion). D’autres explications à la conduite du Pape sont possibles cependant, comme par exemple la possibilité que le Pape lui-même n’ait jamais eu vent de la proposition, ou bien qu’un tel débat ait pu lui sembler aussi incongru qu’un défi de bras de fer lancé par un plouc moyen au Président. Toutefois, les fans de Deedat n’ont voulu retenir que le mythe d’un Pape acculé par le champion de l’islam, en proie à la peur panique de perdre la face… Pourquoi cela ? Pourquoi l’explication somme toute la plus vraisemblable (la seconde !) n’est-elle-même pas considérée ? Je pense, et c’est le sens de votre question, que cela procède d’éléments très profonds de la psychologie musulmane, liés eux-mêmes à la nature de la foi islamique.

Il faut comprendre pour cela que les psychologies façonnées par l’islam fonctionnent à rebours : ce n’est pas l’examen des faits qui y conduit à la conclusion, mais la conclusion qui prédétermine la façon dont les faits sont examinés, voire qui prédétermine directement les faits eux-mêmes, qui va même jusqu’à les inventer (comme par exemple la grande peur du Pape face à Deedat). Illustrons-le : la foi islamique est, au plus profond, la conviction que l’islam est la solution aux maux qui accablent la terre et les hommes, la conviction que l’islam est la solution aux problèmes collectifs comme personnels. De cette conviction dépend tout le reste : puisque l’islam est la solution, il est donc la meilleure des choses, et donc son prophète ne peut avoir été que le meilleur des hommes, et donc sa conduite telle que relatée par la tradition ne peut avoir été que la meilleure des conduites, ne peut avoir été qu’un vrai modèle de bonne moralité. Et donc, face aux épisodes douteux ou inacceptables sur le plan moral de cette biographie (cupidité, mariage de sa propre belle-fille, polygamie et vagabondage sexuel, viol des captives de guerre, relations sexuelles avec une épouse pré-pubère, torture, assassinats, etc.), le musulman pris dans la logique de l’islam se retrouve coincé…

  • Il ne pourra alors que qualifier ces actions de moralement bonnes, et construire à partir d’elles son référentiel moral contre toute morale naturelle. Car sans cela, Mahomet n’aurait alors été qu’un affreux jojo, et ne pourrait donc avoir apporté la meilleure des religions à l’humanité.
  • Ou bien à l’inverse, et selon cependant cette même logique, il ne pourra que refuser de voir en face la réalité de la conduite de son prophète selon sa biographie traditionnelles, il ne pourra que nier ses actions (qu’il ne connaît peut-être pas au demeurant), ou bien lui inventer de toute force des circonstances atténuantes, des alibis et des justifications (Aïcha, sa « femme enfant » aurait en fait été plus âgée, Saint Louis aurait fait de même, on était déjà pubère à l’âge de 9ans, à l’époque, Dieu aurait permis que l’on épouse sa belle-fille, etc.). Car sans cela, Mahomet n’aurait alors été qu’un affreux jojo, et ne pourrait donc avoir apporté la meilleure des religions à l’humanité.

C’est dans chacun des cas la même logique qui commande : la conclusion prédétermine les faits qui sont sensés la construire. L’islam n’est pas bon à cause de Mahomet, mais Mahomet est bon à cause de l’islam. Et donc, mais seulement dans un deuxième temps du raisonnement, l’islam est bon aussi à cause du bon Mahomet : la boucle du raisonnement tautologique est ainsi bouclée… 

De là nous comprenons que l’islam, dans un sens, n’a pas vraiment besoin des faits réels pour exister dans la conscience des musulmans. La conviction que l’islam est la solution à tous les maux se justifie en elle-même : il suffit d’être conscient de l’existence du mal et de tous les maux pour pouvoir être séduit par l’idée qu’il serait possible de s’en libérer, facilement, politiquement, comme le propose l’islam. La promesse est tellement belle, et tellement facile puisque rendue possible via les seuls moyens humains (l’application de la loi de l’islam) qu’elle en prend un caractère des plus impérieux : s’il est possible de sauver le monde, de se sauver soi-même et ses proches, alors il faut absolument le faire, rien ne pourrait être plus important que cela. Dès lors, plus rien ne compte à cette aune, y compris les justifications profondes, y compris l’examen rationnel des faits. On ne va pas chercher à comprendre réellement pourquoi l’application intégrale de la charia permettrait de construire une société parfaite ou d’acheter son entrée au paradis : ce qui compte c’est la promesse du bien absolu que représenterait le paradis sur terre ou dans l’au-delà, promesse qui se suffit à elle-même (ou son corollaire : la peur panique du mal absolu de l’enfer). On peut donc tout à fait être musulman sans connaissances réelles et approfondies du Coran, de la théologie ou de la tradition musulmane, comme l’immense majorité des musulmans dans l’histoire. Il suffit d’être convaincu par la finalité que vise l’islam. C’est, à mon sens, la caractérisation du moteur profond de la foi musulmane.

C’est exactement l’inverse de l’attitude normale, de l’attitude scientifique, qui, elle, part des faits pour aboutir à la conclusion. Au passage, ce fonctionnement « à l’envers » de la raison n’est pas propre à l’islam, il se retrouve dans toutes les idéologies (1). Comme elles, l’islam vient ainsi pirater la conscience et le raisonnement des musulmans, pour les faire fonctionner à l’envers. Il séduit par la promesse du bien total et absolu que serait la « solution-islam » à tous les maux, à toutes les injustices, et la force de cette séduction renverse la charge de la preuve.

Mais au plus profond, l’esprit humain n’est pas si facilement dérouté. Il cherchera toujours à se construire des légitimations, des justifications, à s’appuyer sur des béquilles. Et sans doute les cherche-t-il plus encore qu’il sait, plus ou moins consciemment, que sa conviction s’est formée sans elles, sans réel cheminement « scientifique » solidement établi par la raison sur la logique intégrale et sur l’examen objectif et rigoureux des faits. Coexistent ainsi paradoxalement dans les consciences musulmanes à la fois la certitude de la conviction de la vérité de l’islam et le sentiment d’un manque criant de preuves et justifications réelles, l’intuition de l’illégitimité et le besoin d’être rassuré, d’être ragaillardi, d’être justifié. Ainsi, lorsqu’apparaissent des preuves et justifications, celles-ci sont alors étudiées, soupesées et appréciées au travers de la conviction islamique. Un esprit simple sera ainsi vite convaincu par les « miracles scientifiques » du Coran, qu’il verra comme étant autant de « preuves » de l’islam car il est en fait déjà profondément convaincu par l’islam ! Ce qui explique également au passage qu’il ne les soumettra pas à un examen rigoureux et ne prêtera aucune attention aux aberrations scientifiques réelles du Coran (2). Ce même esprit simple sera ainsi tout aussi vite convaincu par les pitreries de Deedat et consorts. Notons donc ces deux points capitaux, apparemment paradoxaux : 

  1. Le « piratage » des consciences auquel procède l’islam les laisse malgré elles dans une forme d’incertitude, de doute (inexprimable en islam) qui les pousse à chercher toutes les justifications ;
  1. L’esprit musulman est déjà convaincu par l’islam, et ne lui recherche pas de justification réelle, scientifique, intégralement logique : les apparences d’une telle justification le satisferont amplement. 

C’est là-dessus que fleurit la petite entreprise de Deedat et de ses successeurs, et c’est ce qui explique leur succès… En prétendant défendre l’islam contre les attaques des islamophobes, en cherchant à « détruire » les doctrines anti-islamiques (comme l’est intrinsèquement la foi chrétienne – disons plutôt, pour respecter l’histoire, que l’islam est une doctrine intrinsèquement antichrétienne), en voulant rétablir la suprématie de l’islam mise en cause par la crise profonde qu’il traverse depuis deux siècles que les pays musulmans ont été soumis par les Occidentaux, Deedat donnait aux musulmans ce qui leur manque tant dans leur religion : la confiance en eux-mêmes, en l’islam et en Dieu (du moins dans la conception islamique de Dieu).

Bien sûr, il faudrait entrer encore davantage dans la complexité des phénomènes psychologiques provoqués par l’islam pour mieux comprendre le succès de Deedat. Ce besoin d’assurance, de légitimité peut aussi s’expliquer par la nature « négative » de l’islam, qui ne s’affirme pas d’abord comme une réalité positive, substantielle, mais comme la négation, la critique de ce qui le précède, particulièrement du christianisme ( illâha illâ-l-lâh dit ainsi l’attestation de foi musulmane, « pas de divinité en dehors de Dieu »). De même qu’on peut lui trouver des motivations dans la nature absolument inconnue et inconnaissable de Dieu que l’islam promeut au travers de sa conception du monothéisme : si Dieu est absolument tout puissant, absolument différent, absolument inconnaissable, comment savoir s’il est satisfait de moi ? Il faudrait aussi évoquer les logiques de soumission à l’autorité propres à l’islam, qui poussent les musulmans à se chercher des chefs et autorités islamiques (c’est d’ailleurs un commandement de la charia). Mais je pense que nous avons déjà là bien assez pour comprendre Deedat, son œuvre, son succès et sa postérité.

FA : En Europe, beaucoup ont tendance à parler de l’islam comme si celui-ci n’était formé que d’un bloc, alors qu’en réalité il est multiple (chiisme et sunnisme, dont les différentes écoles juridiques de ce dernier, nouveaux courants réformistes, traditionnalistes, salafistes, « islam des lumières », soufisme etc.). D’où vient cette simplification outrancière ? De fait, ne participe-t-elle pas à une méconnaissance de l’islam ou des islams ? Concrètement, comment appréhender ou combattre un phénomène méconnu voire inconnu ?

 OL : C’est là un des sujets traités au fond dans mon dernier livre, La Laïcité, mère porteuse de l’islam ? (3). J’y renvoie les lecteurs pour des explications complètes.

Très grossièrement on pourrait penser que les flux d’immigration musulmane ayant été à peu près homogènes jusqu’à présent, cela a pu nourrir cette idée chez certains Occidentaux d’un islam unifié. Forcément, les Français n’ont vu principalement de l’islam que celui des Maghrébins malékites de leurs colonies d’Afrique du Nord, les Allemands celui des Turcs hanafites et les Anglais celui des Indo-Pakistanais, Egyptiens et Irakiens, hanafites également. Les vagues plus récentes d’immigration montrent cependant combien l’islam est beaucoup plus divers que cela. 

On pourrait aussi identifier certains facteurs identitaires et historiques chez les Européens qui leur ont fait voir l’islam comme un bloc unifié. L’identité européenne s’est en partie construite par son opposition aux musulmans et à l’islam : l’opposition doctrinale et totale entre islam et christianisme, la guerre d’expansion conduite par l’islam très tôt en Europe, la coupure avec la partie de l’empire romain d’Orient prise par l’islam, puis sa perte totale, les entreprises de reconquista de l’Espagne ou de la Terre Sainte, l’alliance des puissances européennes pour résister aux coups de boutoir des Ottomans, la piraterie et les razzias barbaresques, etc. ont longtemps forgé une image du musulman comme ennemi juré de l’Occident et de l’islam comme hérésie absolue. La colonisation et la soumission de la quasi-totalité des « terres d’islam » à une Europe triomphante ont relativisé cette perception, introduisant davantage de complexité. Le développement de l’antichristianisme occidental à partir du XVIIIe siècle a par ailleurs inoculé une dimension idéologique nouvelle dans la perception de l’islam et « du musulman » : c’est durant ces périodes que certains historiens ou philosophes, comme Voltaire ou Guillaume Libri ont commencé de construire une histoire fantasmée et reconstruite de l’islam comme pendant à l’histoire chrétienne de l’Europe que l’on cherchait ainsi à dévaloriser (la chimère du paradis perdu de l’Andalousie, par exemple, havre de paix et de tolérance dans une Europe alors en proie à la sauvage barbarie des âges obscurs). De là commencèrent d’émerger des figures idéologiques « du musulman » à partir desquelles le XXe siècle a imposé les siennes. Depuis les années 1950, la figure « du musulman » a en effet été présentée comme celle du nouveau révolutionnaire selon la grille d’analyse marxiste, ou plutôt progressiste : « le musulman » en lutte contre l’oppression impérialiste (les moudjahidine du FLN), « le musulman » construisant dans son pays une voie de développement alternative au capitalisme (Ben Bella recevant Che Gevara à Alger), « le musulman » immigré en Europe comme outil de destruction du monde occidental d’avant, de ses traditions, de ses racines, de sa religion, de son identité (des intouchables « potes » de SOS Racisme aux « migrants » régénérateurs de Georges Soros et Jacques Attali, en passant par les « kids de Bondy » encensés par France Inter et Télérama pour leur contribution heureuse au multiculti, chaque génération se construit son « musulman de service »). Cette vision « du musulman » relève du fantasme idéologique, passant par pertes et profits la complexité de l’histoire, de l’islam et les réalités vécues par les personnes.

Car oui, l’islam est multiple, traversé par des logiques parfois antagonistes, des dynamiques historiques, culturelles, nationales, nationalistes, des courants religieux, des influences extérieures, et désormais des dynamiques issues de l’enracinement de l’islam dans les pays européens… Face à une telle diversité, on pourrait ainsi céder à la facilité de refuser d’y comprendre quoi que ce soit, ou à celle de se contenter de schémas idéologiques. Je pense cependant que, notamment grâce à l’étude historique profonde et à l’analyse des idées, on peut déterminer une certaine cohérence, une forme d’unité à tous « les islams » : c’est cette même conviction que l’islam serait la solution au mal (les définitions de l’islam et du mal pouvant cependant varier… la chose est complexe !). L’islam étant principalement une idéologie, comme j’ai pu le souligner et montrer déjà maintes fois au fil de nos échanges, on peut comprendre cette diversité par l’analogie avec d’autres idéologies, comme le mouvement socialo-communiste : bolchéviques et menchéviques, léninistes, stalinistes, trotskistes, maoistes, khmers, juche, révolutionnaires, réformistes, nationalistes, internationalistes… Tous différents, mais tous unis derrière la poursuite du même rêve de libération de l’humanité.

L’identité islamique, la solidarité entre musulmans de toutes obédiences dans l’adversité et le sentiment d’appartenance à une même communauté se révèlent cependant lorsque le projet de l’islam lui-même est en jeu, lorsqu’il s’agit de se battre contre le Mal, lorsque, par exemple, l’islam est menacé, lorsqu’il y va de son projet messianiste». C’est ainsi que tous les pays musulmans, par-delà leurs différences, se sont associés au sein de l’OCI (Organisation de la Coopération Islamique, qui regroupe les chefs d’Etat des 57 pays musulmans). L’OCI constitue de fait la première autorité de l’islam, tout à fait capable de parler d’une seule voix et d’agir en commun pour le bien de l’islam, au nom de son expansion, comme je l’ai déjà souligné dans nos échanges. On trouve des exemples de cette solidarité dans le front commun face à « l’islamophobie ». On connait l’officine qui s’est positionnée sur ce créneau en France, le CCIF et ses accointances salafistes. Il est facile de constater qu’elle travaille à la communautarisation des musulmans contre la société civile traditionnelle française. Elle est donc objectivement un agent de fractionnement, de dissolution de cette société civile, un agent de chaos, lequel chaos ne servira ni l’islam ni la France… Ce constat est à la portée de tous, avec ou sans les révélations de Wikileaks. Hé bien, j’ai toujours été étonné de constater l’audience du CCIF chez les musulmans les plus « modérés », les musulmans les plus français et se revendiquant de la France, alors même qu’ils devraient le voir comme leur pire ennemi.

Alors oui, bien sûr, l’islam est multiple, mais il y a aussi une forme d’unité idéologique de l’islam qui peut justifier cette perception d’un « bloc » musulman. Perception que renforcent encore les idéologies progressistes occidentales lorsqu’elles assimilent les musulmans à la figure « du musulman », c’est-à-dire du « musulman de service », du musulman mis au service du schéma idéologique progressiste.

FA : Vous dites que les « musulmans sont absents du débat scientifique concernant les origines de l’islam ». Est-ce vraiment le rôle des musulmans que de participer à ce débat ? Par comparaison, les catholiques sont-ils pertinents dans le débat scientifique au sujet des débuts du christianisme ?

OL : Dans l’ensemble, il y a en effet bien peu de chercheurs musulmans dans ce domaine, malgré quelques exceptions remarquables, étonnantes même, comme par exemple Mehdi Azaïez.

Je ne vois pas pourquoi, par ailleurs, les musulmans devraient ontologiquement être écartés du débat scientifique sur les origines de l’islam, et d’ailleurs ils ne le sont pas. Le tout est d’y participer selon ses règles, celles de la recherche scientifique. Il est vrai que, pour ce que j’en ai vu jusqu’à présent, bien peu en semblaient capables, capables de recul critique sur leur religion, capables d’abandonner tout dogmatisme sur le discours traditionnel que l’islam a développé sur ses propres origines, capables de descendre le Coran du piédestal de la « révélation divine » et de le considérer comme un matériau de recherche. Beaucoup ne comprennent donc pas ce qui est en train de se jouer dans le monde feutré de la recherche, ne comprennent pas que le tapis est train de leur être tiré sous les pieds de manière irrémédiable, ajoutant encore à la crise existentielle qui frappe l’islam depuis deux siècles au moins.

Par comparaison, beaucoup de chrétiens étudient les débuts du christianisme selon les principes de la recherche scientifique. Leur investissement dans ce champ a été et constitue toujours une excellente réponse à la vague de critique et de révisionnisme antichrétienne initiée au XVIIIe siècle. On peut penser aux travaux de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem ou à ceux de l’Institut biblique pontifical, en sus de l’apport des travaux de très nombreux laïcs dans ce champ, dans les universités et structures de recherche – j’en sais quelque chose, pour participer aux travaux de l’association EEChO (www.eecho.fr). 

Cet investissement dans l’étude scientifique et critique des origines de leur religion est à mon sens bien plus aisé pour les chrétiens que pour les musulmans. La foi chrétienne fait la différence entre la croyance et le comportement, entre la personne et ses actes. Elle pousse à faire cette différence. Tout est déjà dans la parole du Christ qui incite chacun à sortir des affirmations toutes faites, des comportements tribaux, moutonniers, en répondant de manière personnelle à son questionnement : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? » (Mt 16,15 ; Mc 8,29 ; Lc 9,20). Développer une pensée personnelle, c’est la possibilité d’une pensée différente, d’une pensée à rebours et donc d’une pensée critique. Il n’y a pas à craindre la pensée critique, au contraire. Si la foi chrétienne est réellement ancrée dans l’histoire, la recherche scientifique sérieuse et objective sur ses origines ne peut que nous conforter : la recherche de la Vérité qui nous anime est aussi celle de la vérité historique. 

En islam, les choses sont plus terre à terre : les réalités spirituelles sont terrestres, et vice et versa. Croyance et comportement ne font qu’un – le sens arabe du mot de « dîn » dépasse celui de « religion » par lequel il est très mal traduit : le dîn est une justice, une éthique, la somme des comportements ordonnés par Dieu et un jugement, celui qui fait de la personne un (bon) musulman ou un mécréant. Le dîn islamique interdit le doute, exigeant une soumission totale et absolue. Les conditions ne sont donc pas les meilleures pour que puisse se développer une pensée critique. Et encore moins une étude critique de l’histoire des origines de l’islam.

Troisième partie prochainement…

(1)  Ce qui explique l’aveuglement des idéologues face aux échecs de leurs systèmes et de la fuite en avant systématique de toutes les idéologies (nazisme, communisme, révolution, européisme, URSS, etc…).

(2)  Cf. le florilège du site Answering Islam (https://www.answering-islam.org/Quran/Science/index.htm en anglais) ou bien ce pot-pourri de vidéos : https://www.youtube.com/watch?v=CS13yF4lfE8&list=PLrxfWBuFyjdWO3bVd1usISnII14Q43-RR 

(3)  La Laïcité, mère porteuse de l’islam ?, par le P. Michel Viot et Odon Lafontaine, Editions Saint Léger-Les Unpertinents, 2017

 

Propos recueillis le 21 juillet 2018

Le 21 juillet 1242 : victoire française de Taillebourg

 

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